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Sur les gloires de la Vierge Mère

Parmi les sermons de saint Bernard de Clairvaux sur le temps de l'Avent, l'un d'entre eux est particulièrement connu, dans lequel le saint abbé nous encourage, dans les difficultés, à regardez l'étoile, regarder Marie

14. Mais, pourquoi voulut-il la renvoyer ? Écoutez sur ce point, non pas ma propre pensée, mais la pensée des Pères. Si Joseph voulut renvoyer Marie, c’était dans le même sentiment qui faisait dire à saint Pierre, quand il repoussait le Seigneur loin de lui : « Éloignez-vous de moi car je suis un pécheur » et au centurion, quand il dissuadait le Sauveur devenir chez lui : « Seigneur je ne suis pas digne que vous veniez dans ma maison. » C’est donc dans cette pensée que Joseph aussi, se jugeant indigne et pécheur, se disait à lui-même, qu’il ne devait pas vivre plus longtemps dans la familiarité d’une femme si parfaite et si sainte, dont l’admirable grandeur le dépassait tellement et lui inspirait de l’effroi. Il voyait avec une sorte de stupeur à des marques certaines qu’elle était grosse de la présence d’un Dieu, et, comme il ne pouvait pénétrer ce mystère, il avait formé le dessein de la renvoyer. La grandeur de la puissance de Jésus inspirait une sorte d’effroi à Pierre, comme la pensée de sa présence majestueuse déconcertait le centurion ; ainsi Joseph, n’étant que simple mortel, se sentait également déconcerté par la nouveauté d’une si grande merveille et par la profondeur d’un pareil mystère ; voilà pourquoi il songea à renvoyer secrètement Marie. Faut-il vous étonner que Joseph se soit trouvé indigne de la société de la Vierge devenue grosse, quand on sait que sainte Élisabeth ne put supporter sa présence sans une sorte de crainte mêlée de respect ? En effet, « d’où me vient, s’écria-t-elle, ce bonheur, que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? » Voilà donc pourquoi Joseph voulait la renvoyer. Mais pourquoi avait-il l’intention de le faire en secret, non point ouvertement ? De peur, sans doute, qu’on ne lui demandât la cause de ce divorce et qu’il ne fût obligé d’en faire connaître le motif. En effet, qu’est-ce que cet homme juste aurait pu répondre à un peuple à la tête dure, à des gens incrédules et contradicteurs ? S’il leur avait dit ce qu’il pensait, et la preuve qu’il avait de la pureté de Marie ? Est-ce que les Juifs incrédules et cruels ne se seraient point moqués de lui et n’auraient point lapidé Marie ? Comment, en effet, auraient-ils cru à la Vérité muette encore dans le sein de la Vierge, eux qui ont méprisé sa voix quand elle leur parlait dans le temple ? À quels excès n’auraient-ils pas osé se porter contre celui qu’ils ne pouvaient pas voir encore, quand ils ont pu porter des mains impies sur sa personne resplendissante alors de l’éclat des miracles ? C’est donc avec raison que cet homme juste, pour ne point être dans l’alternative, ou de mentir, ou de déshonorer une innocente, prit le parti de la renvoyer en secret.

15. Si quelqu’un pense et soutient que Joseph eut le soupçon que tout autre homme aurait eu à sa place, mais que, comme il était juste, il ne voulut point habiter avec Marie, à cause de ses doutes mêmes, et que c’est parce qu’il était bon qu’il ne voulait point la traduire en justice, quoiqu’il la soupçonnât d’être coupable, et qu’il songeait à la renvoyer en secret ; je répondrai en deux mots qu’il faut pourtant reconnaître que les doutes de Joseph, quels qu’ils fussent, méritent d’être dissipés par un miracle d’en haut. Car il est écrit que « comme il était dans ces pensées ‑ c’est-à-dire pendant qu’il songeait à renvoyer Marie ‑ un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de retenir avec vous Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle est l’œuvre du Saint-Esprit. » Voilà donc pour quelles raisons Marie fut fiancée à Joseph, ou plutôt, selon les expressions de l’Évangéliste « à un homme appelé Joseph. » Il cite le nom même de cet homme, non pas parce qu’il fut son mari, mais parce qu’il était un homme de vertu, ou plutôt d’après un autre Évangéliste, il n’est point simplement un homme, mais il est appelé son mari ; il était juste qu’il fût désigné par le titre même qui devait nécessairement paraître lui appartenir. Ainsi il dut être appelé son mari parce qu’il fallait qu’on crût qu’il l’était effectivement. De même il mérita d’être appelé le père du Sauveur, quoiqu’il ne le fût pas effectivement, afin qu’on crût qu’il l’était, comme l’Évangéliste remarque qu’on le croyait en effet : « Quant à Jésus, dit-il, il entrait dans sa douzième année, et passait pour être le fils de Joseph. » Il n’était donc en réalité ni le mari de la mère, ni le père du Fils, quoique par une certaine et nécessaire disposition, comme je l’ai dit plus haut, il reçut pendant un temps les noms de père et d’époux et fut regardé comme étant l’un et l’autre en effet.

16. Mais d’après le titre de père de Dieu que Dieu même voulut bien qu’on lui donnât et qu’on crût pendant quelque temps lui appartenir, et d’après son propre nom qu’on ne peut hésiter à regarder aussi comme un honneur de plus, on peut se faire une idée de ce que fut cet homme, ce Joseph. Rappelez-vous maintenant le patriarche de ce nom qui fut vendu en Égypte ; non seulement il portait le même nom, mais encore il eut sa chasteté, son innocence et sa grâce. En effet, le Joseph qui fut vendu par ses frères qui le haïssaient et conduit en Égypte, était la figure du Christ qui, lui aussi, devait être vendu ; notre Joseph, de son côté, pour fuir la haine d’Hérode, porta le Christ en Egypte, Le premier, pour demeurer fidèle à son maître, ne voulut point partager le lit de sa maîtresse ; le second, reconnaissant sa maîtresse dans la mère de son Seigneur, la vierge Marie, observa lui-même fidèlement les lois de la continence. À l’un fut donnée l’intelligence des songes, à l’autre il fat accordé d’être le confident des desseins du ciel et d’y coopérer pour sa part. L’un a mis le blé en réserve non pour lui, mais pour son peuple ; l’autre reçut la garde du pain du ciel non seulement pour son peuple, mais aussi pour lui. On ne peut douter que ce Joseph, à qui fut fiancée la mère du Sauveur, n’ait été un homme bon et fidèle, ou plutôt le serviteur même fidèle et prudent que le Seigneur a placé près de Marie pour être le consolateur de sa mère, le père nourricier de son corps charnel et le fidèle coopérateur de sa grande œuvre sur la terre. Ajoutez à cela qu’il était de la maison de David, selon l’Évangéliste ; il montra qu’il descendait en effet de cette source royale, du sang même de David, ce Joseph, cet homme noble par sa naissance ; mais plus noble encore par le cœur. Oui, ce fut un digne fils de David, un fils qui n’était point dégénéré de son père ; mais quand je dis qu’il était un digne fils de David, je dis non seulement selon la chair, mais pour sa foi, pour sa sainteté et pour sa dévotion. Dieu le trouva en effet comme son aïeul David un homme selon son cœur, puisqu’il lui confia son plus saint mystère, lui révéla les secrets les plus cachés de sa sagesse, lui fit connaître une merveille qu’aucun des princes de ce monde n’a connu, lui accorda la garde de voir ce dont la vue fut ardemment désirée mainte fois par une foule de rois et de prophètes, d’entendre celui qu’ils n’ont point entendu ; non seulement il lui fut donné de le voir et de l’entendre, mais il eut l’honneur de le porter dans ses bras, de le conduire par la main, de le presser sur son cœur, de le couvrir de baisers, de le nourrir et de veiller à sa garde. Il faut croire que Marie ne descendait pas moins que lui de la maison de David, car elle n’aurait point été fiancée à un homme de cette royale lignée, si elle n’en eût point été elle-même. Ils étaient donc l’un et l’autre de la famille royale de David ; mais ce n’est qu’en Marie que se trouva accomplie la promesse véridique que le Seigneur avait faite à David, Joseph ne fut que le témoin et le confident de son accomplissement.

17. Le verset de l’évangéliste se termine ainsi : « Et le nom de la vierge était Marie. » Quelques mots sur ce nom de Marie, dont la signification désigne l’étoile de la mer : ce nom convient merveilleusement à la Vierge mère ; c’est en effet avec bien de la justesse qu’elle est comparée à un astre, car de même que l’astre émet le rayon de son sein sans en éprouver aucune altération, ainsi la vierge a enfanté un fils sans dommage pour sa virginité. D’un autre côté, si le rayon n’enlève rien à l’éclat de l’astre qui l’émet, de même le Fils de la Vierge n’a rien diminué à sa virginité. Elle est en effet la noble étoile de Jacob qui brille dans les cieux, rayonne dans les enfers, illumine le monde, échauffe les âmes bien plus que les corps, consume les vices et enflamme les vertus. Elle est belle et admirable cette étoile qui s’élève au dessus du vaste océan, qui étincelle de qualités et qui instruit par ses clartés. Ô vous qui flottez sur les eaux agitées de la vaste mer, et qui allez à la dérive plutôt que vous n’avancez au milieu des orages et des tempêtes, regardez cette étoile, fixez vos yeux sur elle, et vous ne serez point engloutis par les flots. Quand les fureurs de la tentation se déchaîneront contre vous, quand vous serez assaillis par les tribulations et poussés vers les écueils, regardez Marie, invoquez Marie. Quand vous gémirez dans la tourmente de l’orgueil, de l’ambition, de la médisance, et de l’envie, levez les yeux vers l’étoile, invoquez Marie. Si la colère ou l’avarice, si les tentations de la chair assaillent votre esquif, regardez Marie. Si, accablé par l’énormité de vos crimes, confus des plaies hideuses de votre cœur, épouvanté par la crainte des jugements de Dieu, vous vous sentez entraîné dans le gouffre de la tristesse et sur le bord de l’abîme du désespoir, un cri à Marie, un regard à Marie. Dans les périls, dans les angoisses, dans les perplexités, invoquez Marie, pensez à Marie. Que ce doux nom ne soit jamais loin de votre bouche, jamais loin de votre cœur ; mais pour obtenir une part à la grâce qu’il renferme, n’oubliez point les exemples qu’il vous rappelle. En suivant Marie, on ne s’égare point, en priant Marie, on ne craint pas le désespoir, en pensant à Marie, on ne se trompe point ; si elle vous tient par la main, vous ne tomberez point, si elle vous protège, vous n’aurez rien à craindre, si elle vous conduit, vous ne connaîtrez point la fatigue, et si elle vous est favorable, vous êtes sûr d’arriver ; vous comprendrez ainsi par votre propre expérience pourquoi il est écrit : « Le nom de la vierge était Marie. » Mais arrêtons-nous un peu, de peur que nous ne voyions aussi qu’en passant la belle clarté de cet astre. Car, pour me servir des paroles de l’Apôtre : « Il est bon pour nous d’être ici » et c’est un bonheur de pouvoir contempler en silence ce qu’un long discours serait incapable de bien expliquer. Mais en attendant, la pieuse contemplation de cet astre scintillant nous donnera une nouvelle ardeur pour ce qui nous reste à dire.