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Commentaires du notre Père et de la salutation angélique

Premier chapitre des Commentaires du notre Père par saint Thomas d'Aquin

« Notre Père ». Parmi toutes les autres prières, l’Oraison dominicale est celle qui tient la première place. Elle a, en effet, les cinq qualités requises pour la prière. La prière doit être sûre, droite, réglée, pieuse et humble.

Elle doit être sûre « pour que nous nous approchions avec confiance du trône de la grâce de Dieu », comme le dit saint Paul dans l’Épître aux Hébreux, ch. 4 : « Ne faiblissant pas même dans la foi ». Saint Jacques dit, en effet, ch. 1 : « Que l’homme demande sans hésiter dans la foi ». Mais, raisonnablement, cette prière est très sûre ; elle est, en effet, l’œuvre de notre avocat, qui est le plus sage des suppliants, en qui, comme il est dit dans l’Épitre aux Colossiens, ch. 2, « sont tous les trésors de la sagesse ». C’est de lui qu’il est dit, dans la première Épitre de saint Jean, ch. 1 : « Nous avons un avocat auprès du Père » ; ce qui fait dire à saint Cyprien, dans son livre sur l’Oraison dominicale1 : « Puisque nous avons un avocat auprès du Père, pour nos péchés, quand nous demandons pardon pour ces mêmes péchés, servons-nous des paroles de notre avocat ». Elle nous paraît sûre ensuite, parce que celui qui nous exauce avec le Père nous a appris à prier, comme nous le montrent ces mots du Psaume 40 : « Il criera vers moi, et je l’exaucerai ». C’est ce qui fait dire à saint Cyprien que « prier le Seigneur avec ses propres paroles, c’est une prière amie, familière et religieuse ». Nous ne l’adressons par conséquent jamais à Dieu sans fruit, car, comme le dit saint Augustin, « elle remet les péchés véniels ».

Notre prière doit être droite, afin que celui qui prie demande à Dieu ce qui lui convient. Saint Jean Damascène dit : « La prière est une demande faite à Dieu des choses qui conviennent ». Bien des fois la prière n’est pas exaucée, parce qu’on demande des choses qui ne conviennent pas. Saint Jacques dit, ch. 4 : « Vous demandez, et vous ne recevez pas, c’est parce que vous demandez mal ». Mais savoir ce qu’il faut demander est une chose très difficile, puisqu’il est très difficile de savoir ce qu’il faut désirer. Nous pouvons licitement désirer, dans la prière, les choses qu’il nous est permis de demander. L’Apôtre dit pour cela, dans l’Épitre aux Romains, ch. 8 : « Car nous ne savons pas quelle prière nous ferons comme il faut ». Mais Jésus-Christ est docteur ; il lui appartient, en effet, de nous apprendre quelles sont les choses que nous devons demander par la prière. Ses disciples lui dirent, au rapport de saint Luc, ch. 9 : « Seigneur, enseignez-nous à prier ». Mais ce qu’il nous a appris à demander par la prière, nous pouvons sans crainte le demander. De là saint Augustin dit que « quelles que soient les paroles dont nous nous servons, nous ne disons que ce qui est contenu dans cette Oraison dominicale, si nous prions d’une manière droite et convenable ».

La prière doit aussi être réglée comme l’est le désir, puisque la prière n’est que l’interprétation de celui-ci. Mais cet ordre nécessaire consiste en ce que nous préférions, dans nos désirs et nos prières, les choses spirituelles aux temporelles, les célestes aux terrestres, d’après ce qui est dit dans saint Matthieu, ch. 6 : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, etc. ». Dans cette prière, le Seigneur nous a appris à observer cet ordre ; on y demande d’abord les choses célestes, et ensuite les terrestres.

La prière doit aussi être dévote, parce que l’onction de la dévotion fait de la prière un sacrifice agréable à Dieu, comme nous l’apprennent ces paroles du Psaume 52 : « À votre nom j’élèverai mes mains, ayant mon âme comme remplie, rassasiée et engraissée ». La prolixité de la prière le plus souvent en affaiblit la dévotion ; c’est pour cela que le Seigneur nous a appris à éviter cette prolixité superflue, quand il dit dans saint Matthieu, ch. 6 : « Priant, parlez peu ». Saint Augustin, écrivant à Proba, dit aussi : « Parlez peu dans vos prières, mais suppliez beaucoup si l’intention persévère fervente ; c’est pour cela que le Seigneur a fait une prière courte ». Mais la dévotion vient de la charité, qui est l’amour de Dieu et du prochain ; et l’un et l’autre se trouvent dans cette prière. Pour insinuer, en effet, l’amour divin, nous lui donnons le nom de Père ; pour insinuer l’amour du prochain, nous prions généralement pour tous, disant : « Notre Père », et « pardonnez-nous nos offenses, etc. » ; ce à quoi nous porte l’amour du prochain.

La prière doit encore être humble, d’après ces paroles du psaume 101 : « Il a regardé la prière de ceux qui sont humbles ». Saint Luc cite, ch. 18, l’exemple du pharisien et du publicain ; et il est écrit, dans le livre de Judith, ch. 9 : « La supplication de ceux qui sont doux et humbles vous a toujours été agréable ». Or cette humilité brille aussi dans cette prière ; car la véritable humilité consiste en ce que personne ne présume de ses forces, mais qu’on attende de la puissance de Dieu tout ce qu’on doit obtenir. Remarquez de plus que cette prière produit trois espèces de biens.

Elle est, premièrement, un remède efficace et utile contre le mal ; elle délivre, en effet, des péchés commis. Il est écrit, Psaume 31 : « Vous avez remis l’impiété de mon péché, c’est pour cette raison que quiconque est saint vous adressera sa prière ». Ainsi pria le larron sur la croix, et il obtint la rémission de ses péchés, parce qu’il lui fut répondu : « Vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis » saint Luc, ch. 23. De même le publicain pria, et « il rentra chez lui justifié », ibid., ch. 18. Elle délivre aussi de la crainte des péchés à venir, des tribulations et de la tristesse. Saint Jacques dit, dans son dernier chapitre : « Quelqu’un parmi vous est-il triste, qu’il prie avec égalité de cœur ». Elle délivre des persécutions et des ennemis. Il est écrit, Psaume 108 : « Ils me déchiraient au lieu de m’aimer, et moi je priais ».

Elle est, deuxièmement, utile et efficace à satisfaire tous les désirs. Il est dit dans saint Matthieu, ch. 9 : « Toutes les choses que vous demandez par la prière, croyez et vous les recevrez » ; et, si nous ne sommes pas exaucés, c’est que nous ne demandons pas avec assez d’instance. « Il faut toujours prier et ne pas se lasser », dit saint Luc, ch. 18. Si nous ne le sommes pas, cela vient encore de ce que nous ne demandons pas ce qui est le plus utile à notre salut. Saint Augustin dit : « Le Seigneur est bon, lui qui ne nous accorde pas ce que nous voulons, pour nous donner ce que nous est préférable ». C’est ce que nous voyons de saint Paul, qui trois fois demanda à être délivré de l’aiguillon de la chair, et qui ne fut pas exaucé.

Elle est, troisièmement, utile, parce qu’elle nous rend les amis de Dieu. Il est écrit, Psaume 140 : « Que ma prière monte vers vous comme l’encens ». Il dit donc :

1 Saint Cyprien de Carthage, Traités. Livre numérique aux Éditions Blanche de Peuterey https://www.peuterey-editions.com/63-peres-de-l-eglise-traites.html