Aller au contenu

Pie XII - Premiers chapitres

Premiers chapitres du livre Pie XII, de Dominique Le Tourneau, exclusivement disponible en ebook.

INTRODUCTION

Eugenio Pacelli est élu pape le 2 mars 1939, six mois avant que la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre au Reich nazi. Le pontificat de celui qui prend le nom de Pie XII est ainsi fortement marqué par les événements tragiques de la deuxième Guerre mondiale.

Si l’action du pape Pacelli en faveur de la paix et pour sauver le plus de Juifs possible de l’extermination lui attire la reconnaissance de la communauté et des autorités juives pendant la guerre et une fois la paix arrivée, ainsi qu’à l’occasion du décès de Pie XII, en 1958, le doute et la suspicion sont pourtant semés cinq ans plus tard, au point que Pie XII apparaisse aux yeux de certains comme « le pape d’Hitler », qualificatif qui colle désormais à sa mémoire, tout en occultant l’action du pontife en tant que chef de l’Église catholique pendant vingt-neuf ans. Une Église qui, de son côté, a entrepris de béatifier Pie XII. Notre propos, nécessairement concis, ne peut se limiter toutefois à la deuxième Guerre mondiale et à la question du rapport avec les Juifs. Ce sont deux aspects dramatiques, mais loin d’être les seuls marquants du pontificat, particulièrement riche du point de vue de l’enseignement et du gouvernement de l’Église catholique. De plus le problème du communisme s’est posé avec de plus en plus d’acuité, occupant alors le devant de la scène. Les éléments que nous avons retenus sont, certes, très fragmentaires, mais ils sont suffisamment éloquents, nous semble-t-il, pour que le lecteur puisse se faire une idée précise de la situation et du déroulement de l’action tant de Pacelli que du pape Pie XII.

Il fut accusé d’être antisémite, d’assimiler les Juifs aux athées et aux bolchéviques, d’avoir peur d’agir contre les nazis, d’être obsédé par l’anticommunisme au poit d’être incapable de voir les atrocités nazies, de croire qu’il n’avait aucune obligation de prendre soin des non catholiques, etc.

Figure attachante pour les uns, repoussante pour les autres, le parcours de Pie XII mérite que l’on s’y arrête. Les premières années (chap. I) préparent Pacelli au sacerdoce et à devenir le meilleur diplomate du Saint-Siège (chap. II), avant de devenir le 260e pape (chap. III) dont l’action de gouvernement est particulièrement intense.

Le contexte international dans lequel débute le pontificat fait de Pie XII le pape de la deuxième Guerre mondiale (chap. IV), ce qui pose la question des relations des Juifs avec Pie XII (chap. V) et du « silence de Pie XII » (chap.VI), deux sujets encore débattus, qui n’ont pas empêché l’Église catholique d’engager le procès en béatification de ce pontife (chap. VII).

Chapitre I. LE TEMPS DE LA FORMATION

I. — L’enfance

Eugenio Maria GiuseppeGiovanni Pacelli naît, à Rome, le 2 mars 1876, troisième de quatre enfants. Il est baptisé le 4 mars, dans l’église Saints-Celse-et-Julien. Sa famille, de petite noblesse, est très liée au Saint-Siège. Son père, Filippo Pacelli, est avocat à la Rote romaine, puis, en 1896, avocat consistorial, charge la plus élevée qu’un laïc puisse occuper au Vatican. Sa mère, Virginia Graziosi, provient d’une famille connue pour les services rendus au Saint-Siège. Son grand-père, Marcantonio, avait été nommé par Pie IX (1846-1878) substitut du ministère de l’Intérieur, de 1851 à 1870, et reçut un titre nobiliaire. Un de ses fils, Ernesto, dirigea les finances vaticanes pendant le pontificat de Léon XIII. Filippo Pacelli collabora a la rédaction du Code de droit canonique. Francesco Pacelli, frère d’Eugenio, jouera un rôle de premier plan, en tant qu’avocat consistorial comme son père, dans les négociations qui aboutirent à la signature, le 11 février 1929, des accords du Latran, avec le gouvernement italien, mettant fin à la « Question romaine ». L’accord est « un symbole de haute valeur et d’extension universelle, car il est la garantie de l’indépendance absolue du Saint-Siège pour l’accomplissement de sa mission dans le monde » (allocution, 28 décembre 1949).

Eugenio fait ses études primaires chez les sœurs de la Providence de Portieux, puis dans un établissement public, le lycée Visconti, dont les enseignants étaient des laïcistes militants : le jeune Pacelli dut à plusieurs reprises défendre sa foi en pleine classe. Il fréquente un groupe apostolique de jeunes dirigé par l’oratorien Giuseppe Lais, à la paroisse Santa Maria Vallicela. Il fait sa première communion le 11 octobre 1886.

Il entre en théologie, à l’Université grégorienne, en 1894, tout en étant pensionnaire au collège Capranica. Il effectue une année de philosophie à l’Université d’État La Sapienza, en 1896. Trois ans plus tard, il entre à l’Athénée pontifical de Saint-Apollinaire, où il obtiendra la licence en théologie et, en juillet 1903, in utroque iure, c’est-à-dire en droit civil et en droit canonique, mais c’est dans ce dernier qu’il se spécialise. Il fréquente les conférences dominicales de Mgr Duchesne et les cours de l’historien allemand Beloch. Il apprend à parler correctement allemand, anglais, araméen, espagnol, français, grec, hébreux, latin et portugais !

Élevé au sein d’une famille profondément chrétienne, Eugenio mène une dure lutte intérieure, « guidé et soutenu par sa piété ardente envers Dieu, par sa tendre dévotion envers la Sainte Vierge et par la très haute conception qu’il avait de la papauté », selon le cardinal Tardini, dans sa biographie de Pie XII. Il menait une vie très mortifiée et exigeante par la maîtrise de soi et les horaires, désireux d’immoler sa vie pour la gloire de Dieu.

Ayant depuis l’âge de 12 ans caressé le projet de devenir prêtre, et après avoir suivi une retraite spirituelle chez les Sulpiciens, il est ordonné, le 2 avril 1899, par Mgr Cassetta, vice-Régent de Rome et grand ami de sa famille, en présence du cardinal Vincenzo Vannutelli, autre ami de la famille, et célèbre sa première messe le lendemain, dans la chapelle Borghese de Sainte-Marie-Majeure.

II. — Les premiers pas au service de l’Église

Sur recommandation du cardinal Vannutelli, Eugenio Pacelli entre, le 2 juin 1901, à la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, dirigée par le cardinal Rampolla, où il est chargé des relations internationales du Saint-Siège, en qualité de minutante. Il effectue sa première démarche officielle, envoyé par saint Pie X pour porter les condoléances du Saint-Siège au décès de la reine Victoria du Royaume-Uni.

En août 1903, il assiste au conclave au cours duquel l’empereur d’Autriche-Hongrie porte l’exclusive – c’est la dernière fois qu’un souverain intervient dans l’élection d’un Pontife romain – à l’encontre du cardinal Rampolla. Compte tenu de ses capacités en droit canonique, le cardinal Pietro Gasparri, président de la commission chargée de rédiger le premier Code de droit canonique, appelle Pacelli, en 1904, au poste de secrétaire de ladite commission. Pie X le nomme camérier secret, le 12 mars 1904.

Pacelli publie, en 1912, une étude sur La Personnalité et la territorialité des lois, spécialement dans le droit canon, et collabore avec Mgr Gasparri à un livre blanc sur la séparation de l’Église et de l’État en France, pays qu’il a visité, en 1896, en compagnie de Giuseppe Lais, et en 1904, allant ensuite en Belgique. Ses supérieurs le voulant au Vatican, il refuse des enseignements qui lui sont proposé à l’Apollinare et à l’Université catholique de Washington, n’acceptant d’enseigner que le droit public ecclésiastique à l’Académie des nobles ecclésiastiques de la curie romaine, institution formant les diplomates du Saint-Siège. En même temps, il exerce son ministère sacerdotal à la Chiesa Nuova des Philippins, ainsi que comme conseiller de la Casa de Santa Rocca fréquentée par de jeunes ouvrières. Il prêche aussi dans diverses paroisses et institutions religieuses, est aumônier des sœurs françaises de l’Assomption, etc. Il s’engage dans le tiers-ordre franciscain.

Le 8 mai 1905, il est nommé prélat domestique de Sa Sainteté. Il est chargé de la Congrégation de Saint-Yves, confrérie d’avocat assurant l’assistance judiciaire des indigents. En 1908, il est légat pontifical au congrès eucharistique international de Londres, où il rencontre Winston Churchill.

En 1911, il est sous-secrétaire aux Affaires ecclésiastiques extraordinaires, et donc directement impliqué dans la diplomatie vaticane, et fait partie de la délégation représentant le Saint-Siège aux cérémonies du couronnement du roi Georges V. En 1912, Pie X le nomme secrétaire adjoint, et, le 1er février 1914, secrétaire aux Affaires extraordinaires. Sa voie semble alors toute tracée. A ce titre, il signe, en 1914, un premier concordat, avec la Serbie, quelques jours avant l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. Il signera neuf autres concordats dans sa carrière de diplomate. Ceci mérite d’être souligné. En effet, depuis la perte des États pontificaux, en 1870, suite à l’unification de l’Italie, le Saint-Siège n’a plus aucune assise territoriale et, par suite, ni personnalité juridique internationale. Il ne la retrouvera qu’en 1929, lorsque le concordat avec l’Italie reconnaîtra l’existence de l’État de la Cité du Vatican. En attendant, le Saint-Siège cherche à nouer des relations avec les États un par un.

Le pape Benoît XV, qui succède à Pie X le 3 septembre 1914, maintient Pacelli à ce poste. Il aura alors à promouvoir la politique du pape en faveur de la paix pendant la première Guerre mondiale et ses initiatives humanitaires, entre autres, d’essayer de dissuader l’Italie d’entrer en guerre contre les puissances centrales, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, par crainte d’une révolution communiste à Rome. Parallèlement, il se rend à Vienne, en 1915, pour tenter, avec le nonce apostolique sur place, Mgr Scapellini, d’obtenir de l’empereur François-Joseph qu’il fasse preuve de patience envers l’Italie. Il suit la question des prisonniers de guerre.

Le 20 avril 1917, Eugenio Pacelli est nommé nonce apostolique en Bavière. Le 23 avril, il est nommé évêque in partibus de Sardes, et ordonné évêque, dans la chapelle Sixtine, le 13 mai, jour des apparitions de Fatima.

Chapitre II. LE DIPLOMATE

I. — La nonciature à Munich

A l’époque, le Saint-Siège n’entretient de relations diplomatiques dans les pays de l’empire germanique qu’avec la Bavière. Le comte von Hertling, premier ministre de Bavière, déclare à l’issue de la remise des lettres de créance au roi Louis III de Bavière, le 28 mai : « Ce Pacelli a plus de valeur qu’une armée. » Pacelli est immédiatement chargé de sonder une série de personnalités et de préparer une proposition de paix. Reçu par le chancelier Bethmann-Hollweg, le 26 juin, Pacelli en retire une impression positive, mais la formation du gouvernement Michaelis, en juillet, marque un changement de cap. Le 29 juin, il remet une lettre du pape à l’empereur Guillaume II, l’exhortant à la paix. Benoît XV signe la proposition de paix, le 1er août 1917, et l’envoie aux gouvernements. Qualifiant la guerre de « destruction inutile », il suggère une paix sans vainqueur ni vaincu sur la base : 1) d’un désarmement et de la solution des conflits par arbitrage obligatoire ; 2) liberté de navigation ; 3) remise mutuelle des dommages et frais de guerre ; 4) restitution des territoires occupés ; 5) solution harmonieuse des territoires litigieux, Alsace-Lorraine, Trieste et Trentin ; 6) solution particulière pour les questions territoriales d’Arménie, des Balkans et de Pologne. Pacelli intervient auprès des autorités bavaroises et allemandes pour qu’elles accueillent favorablement cette note. Nul n’en fera cas. Benoît XV fut accusé de propagande criminelle contre la guerre et de miner le moral des troupes…

Il découvre l’Église catholique de l’empire, visitant les diocèses, participant aux manifestations telles que le Katholikentag. C’est l’époque aussi où il fait la connaissance de sœur Pasqualina Lehnert, qui sera sa gouvernante jusqu’à la fin de sa vie. Il se montre favorable à l’expérience politique du Zentrum.

Au cours de cette même année 1917, Pacelli rencontre personnellement Nahum Sokolov, alors président de l’Organisation sioniste mondiale, pour discuter de la possibilité d’une patrie juive en Palestine. à la demande du Grand Rabbin Weber, de Munich, il intervient pour que les palmes utilisées pour la Fête de Soukkoth ne soient pas confisquées, et il intervient, après le massacre des Arméniens de Palestine, pour protéger les juifs de Palestine contre les Turcs Ottomans et obtenir de l’Allemagne des garanties pour assurer leur protection.

En 1919, la nonciature en Bavière voit sa compétence étendue à l’ensemble de l’Allemagne. En avril-mai de cette année des troubles révolutionnaires éclatent en Bavière, en vue de remplacer la république, proclamée en novembre 1918, par une État socialiste. Pacelli est directement menacé par des hommes armés. Il qualifie ce régime de « très dure tyrannie russo-révolutionnaire ». Rome lui ordonne de se retirer provisoirement en Suisse, à Rorsbach.

La République de Weimar est fondée le 31 juillet 1919. Il est désormais possible d’établir des relations diplomatiques, ce à quoi la famille impériale et les milieux prussiens s’opposaient jusque-là. Une nonciature en Allemagne est alors ouverte, le 23 juin 1920. Pacelli s’y transfère.

Il vit le « putsch » manqué Hitler-Ludendorff, les 8 et 9 novembre 1923, confiant à Pie XI le caractère anticatholique de ce coup d'État, et jugeant, en mai 1924, que le nazisme est « peut-être la pire hérésie de notre époque ».

II. — La nonciature à Berlin

En même temps que la nonciature à Berlin Pacelli reçoit celle de Prusse, mais en réalité le personnel est le même ; et il conserve celle de la Bavière jusqu’à la signature du concordat de 1925.

Le nonce déploie une grande activité pour régulariser les relations entre le Saint-Siège et différents États, ce qui conduit à la conclusion de concordats avec la Lettonie (1922), la Bavière (1924), la Pologne (1925), la Roumanie (1927), la Prusse (1929). Pie XII expliquera le sens des concordats, qui sont pour l’Église « une expression de la collaboration entre l’Église et l’État. En principe ou en théorie, elle ne peut approuver la séparation complète entre les deux pouvoirs. Les concordats doivent donc assurer à l’Église une condition stable de droit et de fait de la part de l’État avec lequel ils sont conclus et lui garantir la pleine indépendance dans l’accomplissement de sa mission divine » (au Congrès des juristes catholiques italiens, 6 décembre 1953).

En 1924, lors d’une visite à Berlin de Tchitcherine, responsable des relations internationales de l’U.R.S.S, Pacelli a des contacts avec Krestinsky, l’ambassadeur soviétique, contacts qui se poursuivront. Il écrira à son homologue à Vienne qu’Hitler est « un redoutable agitateur politique », en août 1929, précisant : « Ou bien je me trompe vraiment beaucoup, ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Cet être-là est entièrement possédé de lui-même : tout ce qu'il dit et écrit porte l'empreinte de son égoïsme ; c'est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin - je n'arrive pas à comprendre que tant de gens en Allemagne, même parmi les meilleurs, ne voient pas cela, ou du moins ne tirent aucune leçon de ce qu'il écrit et dit. Qui parmi tous ces gens, a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu'est Mein kampf ? » Il est à remarquer que quarante des quarante-cinq discours qu’il a prononcés pendant sa nonciature dénoncent l’idéologie nazie.

En 1925, il rencontre de nouveau Sokolov, à qui il ménage un entretien avec Pie XI, qui a succédé à Benoît XV le 6 février 1922. En 1926, Pacelli invite les catholiques allemands à rejoindre l’organisation pro-palestinienne pour l’installation des Juifs en Palestine.

Dans la nonciature de Berlin et sur ordre de Pie XI, il consacre évêque, en 1926, le jésuite Michel d’Herbigny, chargé de constituer un clergé en Russie. Il ordonne quatre évêques, mais les autorités soviétiques se rendent vite compte de cette activité clandestine et expulsent ou arrêtent les prélats. Il semble que le cardinal Pacelli ne partageait pas l’action de Mgr d’Herbigny, jugé peu prudent.

Des négociations avec les dirigeants soviétiques sur l’organisation du catholicisme échouent l’année suivante. En 1930, il réclamera la fin de la persécution religieuse dans l’U.R.S.S.

Pacelli est rappelé à Rome à la fin de l’année 1929. A son départ, le 29 décembre, vingt-mille Berlinois se massent pour l’acclamer, certains se mettant à genoux, comportement tout à fait inhabituel pour le départ d’un diplomate…

III. — Le Secrétaire d’État

Pacelli est alors créé cardinal, avec le titre de cardinal-prêtre de Saints-Jean-et-Paul, et reçoit la barrette le 19 décembre. Le 7 février 1930, Pie XI le nomme Secrétaire d’État, poste où il succède au cardinal Gasparri. Il est nommé archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, le 25 mars1930, préfet de la Fabrique de Saint-Pierre, membre de la commission d’interprétation du Code de droit canonique, le 24 mars 1930, de la Commission biblique pontificale, le 27 septembre 1932, de la commission de rédaction du Code oriental, le 16 juillet 1935, camerlingue, le 1er avril 1935.

L’activité concordataire reprend de plus belle, avec la signature d’accords avec le Bade (1932), la Roumanie sur le statut des catholiques de Transylvanie (1932), l’Autriche (1933), la Yougoslavie (1935), un modus vivendi avec l’Équateur (1937), la Pologne (1938) et il favorise la signature, le 7 janvier 1935, d’un accord entre Rome et Paris destiné à former un bloc face à l’hitlérisme. Les négociations en vue d’un concordat avec l’Allemagne sont engagées peu après la nomination d’Hitler comme chancelier, le 29 janvier 1933, pour tenter d’apaiser les relations, les évêques allemands ayant protesté contre le programme national-socialiste dès l’accès des nazis au pouvoir. Le concordat est signé le 20 juillet 1933. Mais il ne sera guère respecté par le gouvernement allemand. Pie XII justifiera le concordat a posteriori : « Non pas que l’Église de son côté, se laissât tromper par des espoirs excessifs, ni que la conclusion du concordat ne voulût de quelque façon que ce soit approuver la doctrine et les tendances du national-socialisme. (…) Toutefois, il faut reconnaître que le concordat, au cours des années suivantes, procura quelques avantages ou, du moins, empêcha de plus grands maux. » De 1933 à 1939, Pacelli avait quand même dû protester à cinquante-cinq reprises contre le non respect du concordat par l’Allemagne.

Dans une lettre ouverte, de mars 1935, à l’évêque de Cologne, il traite les nazis de « faux prophètes, orgueilleux tel Lucifer ». En 1937, il durcit le ton de l’encyclique Mit brenneder Sorge, préparée par le cardinal Faulhaber, archevêque de Munich, texte publié 14 mars 1937, qui condamne le national-socialisme, et dont la parution provoquera des représailles de la part des nazi : plus d’un millier d’arrestations de prêtres et de religieux, dont 304 déportés à Dachau, exil de Mgr Sproll, saccage des évêchés de Fribourg, Munich et Rottenburg. L’année suivante, Pacelli critique l’approbation immédiate de l’Anschluss par l’épiscopat autrichien et exige du cardinal Innitzer, archevêque de Vienne, qu’il rectifie cette prise de position, ce qu’il fait, le 6 mai : « La déclaration solennelle des évêques autrichiens […] n’avait pas pour but d’être une approbation de quelque chose qui est incompatible avec la loi de Dieu et que les gestes de sympathie de l'épiscopat autrichien à l'égard du régime hitlérien n'avaient pas été concertés avec Rome. » Au mois de mai suivant, alors qu’Hitler est en visite officielle à Rome, Pacelli s’absente ostensiblement du Vatican pendant un mois avec le pape Pie XI qui, de son côté, multiplie les prises de positions contre l'alliance entre l'Italie mussolinienne et le nazisme. Le 9 janvier 1939, il demande à 65 Nonces et évêques du monde 200 000 visas pour des « catholiques non-aryens » en Allemagne, c’est-à-dire en clair des Juifs persécutés. En 1938, il condamne les lois raciales italiennes, qui importent l’antisémitisme allemand et nomme le professeur Tullio Levi-Cività, le plus grand physicien italien, à l’Académie pontificale des Sciences, après son exclusion de l’Académie fasciste des sciences parce que juif.

Mais Pie XI n’entend pas enfermer son plus proche collaborateur dans les affaires allemandes. Il est légat pontifical au Congrès eucharistique de Buenos-Aires, en 1934, et est reçu par le chef de l’État. Lors du voyage de retour, il s’arrête à Rio de Janeiro, où il est reçu par le Congrès et par le Tribunal suprême du Brésil. Il est également légat à Lourdes pour la fin du triduum du jubilé de la Rédemption, en 1935. L’année suivante, il est en mission au Canada et aux États-Unis, où il est fait docteur honoris causa de quatre universités et rencontre le président Franklin D. Roosevelt, qui nommera, fin 1939, Myron Taylor représentant auprès du Saint-Siège, malgré l’absence de relations diplomatiques, et se lie avec le cardinal Spellman. Ce contact s’avèrera très utile pour le pape Pie XII, isolé pendant la guerre, ainsi que pour la préparation de l’organisation des Nations-Unies. En 1937, Pacelli se rend à Paris ; il est reçu par Albert Lebrun, président de la République et par le gouvernement avec les honneurs dus à chef d’État, ce qui ne s’était pas produit depuis 1814, en sa qualité de légat pontifical aux cérémonies de Lisieux pour la bénédiction de la nouvelle basilique, dédiée à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, et le congrès eucharistique national. Revenant à Paris par Chartres, il est reçu par le président Lebrun et à l’Hôtel de Ville. Le 13 juillet, il prononce dans la cathédrale Notre-Dame un vibrant discours sur la vocation de la France. Un an plus tard, nous le retrouvons légat pontifical au 34e Congrès eucharistique international de Budapest, où il est reçu par le régent Miklos Horthy.