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Premier chapitre du livre Créé pour la grandeur

Premier chapitre du livre Créé pour la grandeur, d'Alexandre Havard, consacré au Leadership.

En ce siècle malade, victime de la paresse, de l’ennui et du manque de foi, alors que partout règnent dans un mélange surprenant la haine de la vie et la peur de la mort, quand les gens les meilleurs restent assis les bras croisés, justifiant leur paresse et leur débauche par l’absence d’objectifs vitaux bien définis, les âmes en quête d’excellence sont nécessaires comme le soleil. Elles sont des documents vivants qui montrent à la société qu’il existe des gens d’une autre trempe, des gens prêts au sacrifice, des gens de foi, des gens aux objectifs clairement définis.

Anton Tchékhov

L’auteur

Alexandre Dianine-Havard est né à Paris. Il a travaillé comme avocat à Strasbourg et Helsinki. Il est le fondateur du Havard Virtuous Leadership Institute (www.hvli.org). Depuis 1994 il enseigne le leadership dans de nombreux pays. Il réside actuellement à Moscou. Son livre “Le leadership vertueux” (2008) a été traduit en 15 langues.

AVANT-PROPOS

En 1983, étudiant en Droit à Paris, j’avais passé un mois de vacances inoubliables à Tbilissi, la capitale de la République Soviétique de Géorgie, chez ma grand-tante Elena et son fils Thamaz.

Je revins à Tbilissi en 1990. Sept années s’étaient écoulées : l’Union Soviétique était en voie de dissolution et tante Elena n’était plus parmi nous. Un soir, nous décidâmes avec Thamaz d’aller nous recueillir sur sa tombe. Nous nous dirigeâmes donc vers le cimetière, Thamaz au volant de sa Jigouli. Il aimait sa mère plus que toute autre personne au monde. Il ne l’avait jamais quittée depuis ce jour dramatique de 1938 où son père fut arrêté et fusillé par la police secrète communiste. Il avait alors dix ans.

Plus nous nous approchions du cimetière, plus son émotion se faisait manifeste. La route était mauvaise – il s’agissait d’une route de montagne, étroite et glissante – et il faisait nuit. Thamaz soudainement se tourna vers moi :

– « Tu as peur ? »

Par pudeur je lui répondis :

– « Non ! »

Il appuya alors sur l’accélérateur...

J’eus à peine le temps d’invoquer mon ange gardien que la voiture s’élança au dessus de l’abîme pour atterrir quelques secondes plus tard au cœur d’un cimetière de montagne. Le pare-brise avait volé en éclats. La Jigouli se maintenait en équilibre entre deux pierres tombales. Il fallut sortir avec précaution pour ne pas rompre cet équilibre vital. Quelques mètres plus loin, le ravin.

Nous descendîmes de la montagne à pied, en silence, sans rencontrer un seul véhicule. Thamaz finit par ouvrir la bouche : « C’est vraiment dommage qu’on n’ait pas atteint notre objectif et qu’on ait démoli des tombes qui ne sont pas les nôtres. »

Une heure plus tard nous arrêtions une voiture sur la route principale et rentrions à Tbilissi. Il était deux heures du matin.

Pendant quelques jours, j’en voulu un peu à Thamaz pour cette aventure qui aurait pu se terminer très mal. Par la suite je compris que cet homme de soixante ans avait perdu depuis longtemps – depuis l’âge de dix ans probablement, depuis l’arrestation de son père par le NKVD – non seulement le sens de l’orientation, mais aussi le sens de la vie.

Souvent je pense à Thamaz et à ces millions de personnes blessées d’une manière ou d’une autre par les programmes idéologiques du XXè siècle. Je pense au vide, à la dévastation qu’ils ont produits dans les cœurs, et à cette politique mondiale, qui pour être centrée exclusivement sur l’économie, ne fait qu’aggraver ces blessures.

Mais plus souvent encore, je pense à tous ces gens qui, à la différence de Thamaz, ont énormément reçu dans l’existence – parce qu’ils ont connu la chaleur d’un foyer, parce qu’ils ont eu un père et une mère qui les ont aimés et qui les ont éduqués ensemble dans la vérité, la liberté et la vertu – et qui pourtant, pour une raison ou une autre, n’ont pas encore saisi l’ampleur de leurs responsabilités devant Dieu et devant les hommes. C’est à ces hommes et à ces femmes, jeunes ou moins jeunes, que je dédie cet ouvrage.

Introduction

Dans La méthode Havard, pour un leadership authentique [1], publié aux États-Unis en 2007, j’ai exposé ma vision du leadership. Cette vision on peut la résumer en dix points :

1. Le leadership authentique doit être basé sur une anthropologie authentique : celle qui inclut l’arétologie, la science des vertus. La vertu est une habitude de l’intelligence, de la volonté et du cœur qui nous permet d’atteindre l’excellence et l’efficacité personnelle. Le leadership est intrinsèquement lié à la vertu pour deux raisons : 1) parce que c’est la vertu qui crée la confiance qui est la condition sine qua non du leadership ; 2) parce que la vertu est une force dynamique qui accroît la capacité d’agir, si nécessaire au leader (le mot « vertu » vient du mot latin virtus qui signifie « force » ou « pouvoir ») ; la vertu permet au leader de faire ce que l’on attend de lui.

2. La magnanimité et l’humilité, qui sont principalement des vertus du cœur, constituent l’essence du leadership. La magnanimité est l’habitude de tendre vers de grandes choses. Les leaders sont magnanimes dans leurs rêves, leurs visions et leur sens de la mission ; ils le sont aussi dans leur capacité à se fixer à eux-mêmes et aux autres des objectifs personnels et organisationnels élevés. L’humilité est l’habitude de servir les autres. Pour un leader, pratiquer l’humilité, c’est tirer en avant plutôt que pousser, enseigner plutôt que commander, inspirer plutôt que réprimander. Pratiquer l’humilité, c’est donner à ceux qu’on dirige la capacité de se réaliser eux-mêmes et d’atteindre la grandeur. Le leader est toujours un enseignant ; il est toujours aussi un père ou une mère pour ceux qu’ils dirigent. Les suiveurs du leader sont les personnes qu’il sert. La magnanimité et l’humilité sont les vertus spécifiques du leader : elles constituent ensemble l’essence du leadership.

3. Les vertus de prudence (sagesse pratique), courage, maîtrise de soi et justice, qui sont principalement des vertus de l’intelligence et de la volonté, constituent les fondements du leadership. La prudence augmente la capacité du leader à prendre les bonnes décisions ; le courage lui permet de maintenir le cap et de résister aux pressions de toutes sortes ; la maîtrise de soi subordonne ses émotions et ses passions à sa raison et projette leur énergie vitale dans l’accomplissement de sa mission ; la justice lui permet de donner à chacun son dû. Si ces quatre vertus que l’on appelle cardinales ne constituent pas l’essence du leadership, elles en constituent la base sans laquelle le leadership s’effondre.

4. On ne naît pas leader, on le devient. La vertu est une habitude acquise par la pratique. Le leadership est une question de caractère (vertu, liberté, croissance), et non de tempérament (biologie, conditionnement, stagnation). Le tempérament peut favoriser le développement de certaines vertus et ralentir le développement d’autres, mais il arrive un moment dans la vie du leader ou ses vertus impriment un caractère (un sceau) sur son tempérament, de sorte que son tempérament cesse de le dominer. Le tempérament n’est pas un obstacle au leadership : l’obstacle au leadership est le manque de caractère, l’absence d’énergie morale qui nous rend esclaves de notre constitution biologique.

5. Le leader ne dirige pas au moyen de la potestas ou pouvoir inhérent à ses fonctions. Il dirige au moyen de l’auctoritas, de l’autorité qui provient du caractère. Ceux qui dirigent au moyen de la potestas, parce qu’ils manquent d’autorité, ne sont des leaders que de nom. C’est un cercle vicieux : celui qui manque d’autorité (auctoritas) tend à abuser de son pouvoir (potestas), ce qui provoque une érosion plus ample de son autorité, et le chemin vers l’authentique leadership est pour lui définitivement bloqué. Le leadership n’est pas une question de rang ou de position. Etre un leader, ce n’est pas la même chose qu’être un « chef » ou un « patron ». Le leadership est une manière d’être. Toute personne, quelle que soit sa place dans la société ou dans une organisation, peut être un leader.

6. Pour grandir en vertu, il faut : 1) contempler la vertu afin d’en percevoir la beauté intrinsèque et la désirer ardemment (rôle du cœur) ; 2) agir vertueusement d’une manière habituelle (rôle de la volonté) ; et 3) pratiquer toutes les vertus simultanément au moyen d’une attention particulière portée à la prudence, qui est le guide de toutes les vertus (rôle de la raison).

7. Par la pratique des vertus les leaders en arrivent à posséder la maturité sous tous ses aspects : dans leurs jugements, leurs émotions, leur comportement. Les signes de la maturité sont la confiance en soi et la cohérence, la stabilité psychologique, la joie et l’optimisme, le naturel, le sens de la liberté et de la responsabilité, la paix intérieure. Les leaders ne sont ni sceptiques ni cyniques, ils sont réalistes. Le réalisme est la capacité d’entretenir les nobles aspirations de l’âme, même lorsqu’on est assailli par ses propres faiblesses personnelles. Être réaliste n’est pas céder à la faiblesse, mais la dominer par la pratique des vertus.

8. Le leader rejette toute approche utilitariste de la vertu. La vertu n’est pas quelque chose qu’il cultive avant tout pour devenir efficace dans ce qu’il fait. Il cultive la vertu en premier lieu pour se réaliser comme être humain.L’efficacité n’est pas l’objectif de la croissance spirituelle : c’est simplement l’un de ses multiples résultats.

9. Les leaders pratiquent l’éthique des vertus, plutôt qu’une éthique basée sur des règles. L’éthique des vertus ne nie pas la validité des règles, mais elle affirme que les règles ne constituent pas le fondement ultime de l’éthique. Les règles doivent être au service de la vertu. L’éthique des vertus favorise amplement la créativité du leader.

10. La pratique des vertus spécifiquement chrétiennes – la foi, l’espérance et la charité – a une impact formidable sur le leadership. Ces vertus surnaturelles élèvent, renforcent, et transfigurent les vertus naturelles de magnanimité et d’humilité qui constituent l’essence du leadership, et les vertus naturelles de prudence, courage, maîtrise de soi et justice, qui en constituent les fondements. Aucune étude du leadership ne saurait être complète si elle néglige de considérer les vertus surnaturelles.

Créé pour la grandeur (2011) est un approfondissement de mon premier livre La méthode Havard (2007). Ces deux ouvrages constituent ensemble un tout indivisible.

[1]A. Havard, Virtuous Leadership: An Agenda for Personal Excellence. New York, Scepter Publishers, 2007. Première édition française : La Méthode Havard: Pour un Leadership Authentique, Paris, Sarment - Le Jubilé, 2009.